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A Istanbul, les irréductibles du Bosphore sous la neige
Ils sont arrivés en après-ski, capuche abaissée face au blizzard, laissant l'empreinte de leurs pas sur les quais blanchis. Pour les irréductibles du Bosphore, un bain sous la neige, ça ne se rate pas.
Samedi matin 9H00 sur les quais de Bebek, quartier bobo-chic d'Istanbul sur la rive européenne: Eren Tör, en habitué, est parmi les premiers arrivés avec son enceinte musicale pour l'ambiance, parmi les premiers aussi à tomber la polaire, prêt à plonger dans l'eau grise.
"Ca fait trois ans qu'on l'attend!" se réjouit-il en rappelant les dernières vraies chutes de neige en mars 2022.
Depuis mercredi, la mégapole turque a subi d'abondantes averses de neige qui ont recouvert les banlieues excentrées et obligé à fermer leurs écoles, avant de s'accrocher jusque dans le centre-ville aux toits et au sol.
A 66 ans, Eren, dentiste retraité, vient ici par tous les temps et en toute saison, fidèle du Bosphore dans lequel il a appris à nager, enfant, qui vante la chance unique de se "baigner entre deux continents" dans ce détroit qui relie la Mer Noire à la mer de Marmara et sépare l'Europe de l'Asie.
Intarissable sur les bienfaits de l'eau froide - "il fait 5°à 6°C dedans, -2°C dehors", avance-t-il - il lâche quelques conseils aux impétrants: "Ne pas rester plus de cinq minutes, immergé jusqu'au cou et en respirant le plus doucement possible pour bien garder le contrôle de son corps".
- short et bikini -
Sous ses yeux, Asli Bardiz est entrée dans l'eau en bikini, sans hésiter ni même frissonner.
Mains jointes, yeux clos, elle semble méditer sous un rayon de soleil. "Il fait meilleur dedans que dehors", assure-t-elle en sortant, les pieds rougis par le froid.
Designer trentenaire qui se baigne elle aussi en toute saison, Asli a suivi l'an dernier un camp hivernal dans les montagnes de Kartepe, station de ski à l'est d'Istanbul, où elle s'est entrainée à marcher en bikini dans la neige.
"C'est excellent pour la santé physique et mentale", vante-t-elle, jurant qu'il "suffit de se concentrer sur le moment pour oublier le froid".
Aucun des baigneurs qui commencent à affluer ne porte de combinaison de plongée et tous ouvrent des yeux ronds quand on en fait la suggestion.
Aydin Aydiner, 45 ans, le bonnet vissé jusqu'aux yeux, ratisse la neige pour ouvrir un passage jusqu'à l'échelle en attendant son groupe d'amis.
La veille, cet entrepreneur dans le textile de 45 ans est venu malgré la tempête, raconte-t-il en exhibant la vidéo de sa baignade sous les flocons qui tombent en giboulées drues, entre deux éclats de lumière, depuis trois jours.
"Plus elle est froide, mieux c'est: on se sent rajeunir!" lance-t-il en se jetant à l'eau en short orange, dédaignant les marches et quelques méduses qui flottent en surface.
"C'est du collagène, c'est bon pour la peau!" plaide Eren en riant, brandissant la masse gélatineuse à pleine mains.
Rien, vraiment rien qui entrave les irréductibles de la baignade d'hiver.
P.Mueller--MP