Sanctions contre le Mali: la vie à l'arrêt des routiers coincés à la frontière
Une longue file de camions s'étend le long des derniers mètres de goudron menant de la Côte d'Ivoire au Mali: bloqués depuis deux semaines par les sanctions contre la junte de Bamako, des dizaines de chauffeurs routiers rêvent de rentrer chez eux.
Au poste-frontière de Tengrela, le panneau "République du Mali, Bamako 337 km", nargue ces conducteurs qui transportent quasiment tous du clinker, un composant essentiel de la fabrication du ciment.
Partis d'Abidjan ou de San Pedro, les deux grands ports ivoiriens où la marchandise a été chargée, ils devaient rejoindre Bamako, lorsque l'organisation régionale ouest-africaine Cédéao a interdit le ravitaillement du Mali, en dehors des produits de première nécessité.
"On est là depuis douze jours, bloqués ici. On ne fait rien, on est là seulement à attendre de voir si les sanctions sont levées ou non", soupire Racine Tall, un chauffeur de 30 ans.
A leur arrivée, un premier comptage des autorités avait recensé 210 camions coincés à la frontière. Un nombre supérieur aujourd'hui assurent les chauffeurs.
Quelques appels téléphoniques aux familles, beaucoup de tasses de thé et une attente interminable: les journées caniculaires et les nuits frâiches de "l'hiver" sahélien s'égrènent lentement.
Tous ces hommes passent la journée suspendus à leur téléphone, consultant médias et réseaux sociaux dans l'espoir d'apprendre la bonne nouvelle qui leur permettra de reprendre la route.
"Tout ce qu'on demande, c'est de pouvoir rentrer chez nous", disent-ils à l'unisson.
"On n'a pas grand chose à manger, il y a des moustiques et beaucoup ont eu le paludisme", assure Djibril Samake, un chauffeur.
"On ne se nourrit pas bien, on n'a pas d’eau potable et beaucoup sont tombés malades. On se soigne comme on peut, mais aucun médecin n’est venu nous rendre visite", confirme Adama Traoré, lui aussi bloqué.
- "Rentrer chez nous" -
Faute de moyens suffisants pour aller dans une officine, les routiers affirment acheter leurs médicaments à la "pharmacie par terre", des comprimés vendus dans la rue, sans aucun contrôle et souvent périmés.
La nourriture est apportée par des cuisinières de Tengrela, le dernier bourg ivoirien à 10 kilomètres de là.
"C'est préparé en ville et emmené ici à moto, du coup on paie double tarif", déplore Adama Traoré.
Pour l'heure, les salaires continuent de tomber ce qui permet aux chauffeurs de tenir.
Fatalistes, ils sont nombreux à soutenir l'homme fort de la junte malienne dont le souhait de se maintenir au pouvoir pendant 5 ans est à l'origine des sanctions de la Cédéao.
"Vive Assimi Goita", affiche même fièrement un des camions sur son pare-brise.
"J'espère qu'ils va y avoir des négociations à la Cédéao pour trouver une solution, qu'ils puissent revoir les sanctions car on est tous des Africains, des voisins, des amis", plaide Racine Tall.
Parfois, les douaniers laissent passer l'un d'entre eux, sur une moto-taxi pour aller au premier village malien récupérer de l'argent par transfert téléphonique.
Certains ont toutefois craqué et abandonné leur camion pour aller rejoindre leur famille.
Adama Traoré les comprend: "les communications sont difficiles, le réseau n'est pas stable pour appeler les parents", explique t-il.
"C'est sûr que mes enfants me manquent", abonde Racine Tall.
Si la frontière est également fermée aux passagers - depuis mars 2020 et le début de la pandémie de Covid-19 -, elle reste très facile à contourner.
De nombreuses motos évitent le poste de contrôle policier en quittant la route quelques centaines de mètres avant, pour passer par la brousse et ainsi entrer au Mali, a constaté l'AFP.
Ce dimanche midi, un camion rempli de bananes se présente au poste-frontière: lui peut continuer sa route jusqu'à la capitale malienne, les denrées alimentaires étant exclues de l'embargo.
Racine et les autres, eux, se préparent à attendre encore de longues semaines.
G.Murray--MP