

Venezuela: le dollar au noir s'envole, la peur de la crise revient
"Tout augmente. C'est insupportable": le taux du dollar au marché noir s'envole au Venezuela, ravivant le spectre de l'hyperinflation et de la pénurie des pires années de la crise qui a poussé des millions d'habitants à émigrer.
Alors que l'incertitude règne face au durcissement des sanctions américaines contre le secteur du pétrole, le cours du "dollar noir" a franchi cette semaine la barre symbolique des 100 bolivares. Longtemps contenu, l'écart avec le taux officiel de 69,5 bolivares est aujourd'hui saisissant: près de 50% de plus.
Cette grande disparité exerce une forte pression sur les prix, car les commerces sont obligés d'utiliser le taux officiel sous peine d'amendes, voire de fermeture. Elle souligne aussi une perte de confiance dans la monnaie locale.
"Cela nous affecte parce que cette hausse du dollar fait tout augmenter. La nourriture augmente (...) les transports augmentent, tout augmente. C'est insupportable", résume à l'AFP Darwin Contreras, un commerçant de 40 ans qui entrevoit le spectre de l'hyperinflation vécue entre 2018 et 2021, avec un pic historique à 130.000% la première année.
Le fossé entre les taux a commencé à se creuser au second semestre 2024, atteignant alors environ 20%.
- "Effet Chevron" -
Pour les experts, la décision du président américain Donald Trump de révoquer la licence accordée au pétrolier Chevron pour opérer au Venezuela, malgré les sanctions, a déjà un impact, même si cette mesure ne doit s'appliquer que le 27 mai.
Environ 25% de la production pétrolière vénézuélienne, actuellement autour de 900.000 barils par jour, provient des opérations de Chevron, selon le cabinet Aristimuño Herrera & Asociados.
"Chevron est l'un des principaux fournisseurs de devises dans le secteur bancaire", explique à l'AFP César Aristimuño. Or, rien qu'en 2024, l'Etat a injecté quelque cinq milliards de dollars sur les marchés pour soutenir le bolivar, d'après les données de son cabinet.
"L'annonce" du départ de Chevron "a immédiatement suscité une grande inquiétude au Venezuela", affirme M. Aristimuño.
Et avec elle une hausse de la demande de dollars, les Vénézuéliens cherchant une valeur refuge.
"La demande a été très forte ces dernières semaines. Aujourd'hui, la demande dépasse largement l'offre", note César Aristimuño, décrivant un "effet Chevron".
Au Venezuela, le marché noir est né pendant les années où existait un contrôle des changes strict, qui a été presque aboli avec la dollarisation informelle de l'économie.
- "Dollar de guerre" des "gringos" -
Le président Nicolas Maduro a en effet dû autoriser la circulation du billet vert des "gringos", l'ennemi américain honni, pour faire face aux problèmes de pénurie et à l'hyperinflation qui minaient le pays.
La dollarisation a permis de sortir de sept ans de récession entre 2013 et 2020, durant lesquelles le PIB s'est contracté de 80%.
M. Maduro, dont la réélection en 2024 n'est pas reconnue par les Etats-Unis, a admis vendredi que la demande de dollars sur le marché formel avait augmenté de 40%.
"Le dollar de guerre" est "un vieil ennemi de l'économie vénézuélienne", a-t-il déclaré à la télévision nationale. "Nous devons faire tout ce qu'il faut pour surmonter la perturbation créée par les deux annonces de guerre économique du gouvernement des Etats-Unis contre le Venezuela", soit la révocation de la licence de Chevron et l'annonce américaine de droits de douane de 25% pour les pays acheteurs de pétrole vénézuélien.
Si les consommateurs détenant des dollars peuvent les échanger contre plus de bolivares, ils subissent aussi l'augmentation des prix, tirés vers le haut.
La Banque centrale n'a pas publié de chiffre d'inflation depuis octobre, mais des estimations indépendantes situent l'indice interannuel à 117% jusqu'en février.
Les commerçants, quant à eux, essuient des pertes. Ils sont obligés d'accepter les paiements au taux officiel, et "essayer de compenser ces pertes en ajustant les prix en dollars peut ne pas suffire", avertit la société Albusdata.
"Le fait d'accepter, de facturer au taux parallèle est très délicat. Il est parfois même préférable de perdre le fournisseur (...) ou simplement de se retirer du marché", relève Diego Rodriguez, commerçant de 39 ans.
"Je veux croire que les organismes compétents prendront des mesures d'une manière ou d'une autre", dit-il. "Quand elles (les autorités) injectaient des dollars (sur le marché pour augmenter l'offre), il y avait une différence très minime" entre les taux, "sur laquelle il était possible de travailler".
G.Loibl--MP