Le prix Nobel de la paix plaide pour un monde sans armes nucléaires
En recevant le prix Nobel de la paix mardi, le groupe japonais de survivants de la bombe atomique, Nihon Hidankyo, a exhorté les Etats à agir pour éliminer les armes nucléaires, menace redevenue d'actualité près de 80 ans après les bombardements de Hiroshima et Nagasaki.
Coprésident de l'association et lui-même rescapé du bombardement de Nagasaki, Terumi Tanaka, 92 ans, a dit "exiger des actions de la part des gouvernements pour atteindre cet objectif" d'une planète débarrassée de ces armes de destruction massive.
Cette récompense a été remise dans les murs de l'Hôtel de ville d'Oslo à un moment où des Etats tels que la Russie agitent la menace nucléaire.
"Je suis infiniment triste et en colère que le +tabou nucléaire+ soit menacé d'être brisé", a affirmé M. Tanaka devant une assistance de dignitaires où les costumes-cravates se mêlaient aux bunads (costumes traditionnels norvégiens) et kimonos japonais.
Cherchant à dissuader les Occidentaux d'apporter leur assistance militaire à l'Ukraine pour l'aider à se défendre contre l'invasion russe déclenchée en février 2022, Vladimir Poutine a récemment modifié les possibilités de recourir aux armes nucléaires.
Pour frapper une ville ukrainienne, l'armée russe, qui dispose du plus gros arsenal atomique au monde, a démonstrativement fait usage le 21 novembre d'un missile balistique de portée intermédiaire, un engin conçu pour porter l'arme nucléaire, dont il avait été démuni pour ce tir.
S'appuyant sur les témoignages de survivants - les "hibakusha" - des bombardements atomiques de Hiroshima et Nagasaki, Nihon Hidankyo milite, elle, inlassablement pour une planète débarrassée de ces armes de destruction massive.
Les bombardements américains sur ces deux villes japonaises, les 6 et 9 août 1945, firent quelque 214.000 morts et précipitèrent la capitulation du Japon ainsi que la fin de la Seconde Guerre mondiale.
- Corps carbonisés -
Terumi Tanaka avait 13 ans quand Nagasaki a été pulvérisée par la bombe dont l'hypocentre était à trois kilomètres de son domicile. Cinq membres de sa famille ont été tués.
Il était à l'étage, lisant un livre quand la bombe A a été larguée.
"J'ai entendu l'explosion, j'ai soudain vu une lumière blanche éclatante qui entourait tout, et tout est devenu silencieux. J'étais sidéré. Je me suis senti en danger de mort", a-t-il raconté à l'AFP quelques heures avant la cérémonie.
Trois jours plus tard, sa mère et lui partent s'enquérir du sort de la famille.
"Quand nous sommes arrivés sur une crête au sommet des collines, nous avons pu voir la ville en contrebas. C'est à ce moment-là que, pour la première fois, nous avons vu qu'il ne restait absolument plus rien. Tout était noir et calciné", se souvient-il.
Il raconte les personnes grièvement blessées fuyant la ville, les corps carbonisés des deux côtés de la route, celui de sa tante, morte, qu'ils incinéreront "de (leurs) propres mains".
"J'étais assommé, incapable de ressentir quoi que ce soit", confie-t-il.
Avec le temps, les rangs de Nihon Hidankyo s'amenuisent. Le gouvernement nippon recense environ 106.800 "hibakusha" toujours en vie aujourd'hui, dont la moyenne d'âge est de 85 ans.
- Le 'droit de vivre' -
Pour les Occidentaux, la menace vient aussi aujourd'hui de la Corée du Nord qui multiplie les tirs de missiles balistiques et de l'Iran, soupçonné de vouloir se doter de l'arme atomique, ce que Téhéran dément.
Neuf pays détiennent aujourd'hui l'arme atomique: Etats-Unis, Russie, France, Royaume-Uni, Chine, Inde, Pakistan, Corée du Nord et, non officiellement, Israël.
"Notre mouvement a indéniablement joué un rôle majeur dans la création du +tabou nucléaire+", a aussi affirmé M. Tanaka.
"Il reste cependant encore 12.000 ogives nucléaires sur Terre aujourd'hui, dont 4.000 sont déployées et opérationnelles, prêtes à être lancées immédiatement", a-t-il fait valoir.
En 2017, 122 gouvernements avaient négocié et adopté le traité historique sur l'interdiction des armes nucléaires (TIAN) à l'ONU, mais la portée de ce texte est essentiellement symbolique puisqu'aucune puissance nucléaire ne l'a signé.
Si tous les ambassadeurs en poste à Oslo étaient invités à la cérémonie Nobel mardi, seuls ceux des Etats-Unis, de France, du Royaume-Uni, d'Inde et du Pakistan, parmi Etats possédant "la" bombe, y ont assisté. Ceux de Russie, Chine, Israël et Iran étaient absents, selon l'Institut Nobel.
Inquiet du passage dans "une nouvelle ère nucléaire plus instable", le président du comité Nobel, Jørgen Watne Frydnes, a rappelé qu'"une guerre nucléaire pourrait détruire notre civilisation".
"Les armes nucléaires d'aujourd'hui (...) ont un pouvoir de destruction bien supérieur aux deux bombes utilisées contre le Japon en 1945. Elles pourraient tuer des millions de personnes en un instant, en blesser encore davantage, et perturber le climat de manière catastrophique", a-t-il noté.
"Le prix Nobel de la paix 2024 valide le droit humain le plus fondamental: le droit de vivre", a-t-il souligné.
Les Nobel dans les autres disciplines (littérature, chimie, médecine, physique, économie) seront également remis dans la journée à Stockholm en présence du roi de Suède, Carl XVI Gustaf.
M.Schulz--MP