De la Vendée à l'Espagne, un élevage d'aigles réintroduit une espèce menacée
Pour une espèce menacée qui se reproduit "rarement en captivité", c'est une nouvelle prouesse: cinq jeunes aigles de Bonelli nés dans un élevage de Vendée rejoindront l'Espagne cet été pour être mis en liberté.
Vu de l'extérieur, l'élevage situé à Saint-Denis-du-Payré n'est qu'une maison ordinaire. Il faut traverser le salon et pousser la porte du jardin pour découvrir l'imposant bâtiment en tôle qui abrite les rapaces.
Divisé en dix volières de dix-huit mètres sur six, il accueille cinq couples trop vieux pour apprendre à vivre en liberté et cinq jeunes en attente de transfert.
Depuis 2011, Christian Pacteau, propriétaire de la maison et responsable de l'élevage, a envoyé 77 aiglons repeupler le bassin méditerranéen.
"Le nombre d'aigles de Bonelli a chuté drastiquement depuis les années 1980, notamment à cause des électrocutions sur les lignes à haute tension", explique l'éleveur. "A l'époque, on comptait 80 couples en France. Au début des années 2000, plus que 20. Grâce à la réintroduction, il y en a aujourd'hui une quarantaine".
A 72 ans, ce professeur des écoles à la retraite, "tombé très jeune dans la marmite de l'ornithologie", dirige le seul élevage français d'aigles de Bonelli, créé à l'initiative de l'Union française des centres de sauvegarde de la faune sauvage (UFCS) et financé par un programme européen de protection de la biodiversité ainsi que par la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO).
Les associations du sud de la France ne s'étant pas montrées intéressées, l'élevage vendéen s'était tourné vers des organismes espagnols et italiens, qui relâchent aujourd'hui les aiglons dans la région de Madrid, d'Alava, à Majorque et en Sardaigne.
- GPS -
Ventre blanc, ailes sombres et bec crochu, Cabestany, Eus et Llupia, trois aiglons nés au mois de mars, attendent l'heure du départ, perchés dans leur volière.
Le trajet a été retardé de plusieurs semaines par l'épizootie de grippe aviaire, qui empêche tout transport de volatiles.
"C'est embêtant car plus les rapaces sont réintroduits tard, plus ils prennent de temps pour s'habituer à leur nouvel environnement", s'inquiète Emmanuelle Portier, l'une des deux soigneuses.
Dans la volière voisine, les deux autres oisillons qui seront du voyage sont encore couverts de duvet blanc, allongés sur une table de bois tapissée d'écorces.
Mi-juillet, les soigneurs installeront les aiglons à l'arrière d'une camionnette qui prendra la route de l'Espagne. Avant d'être mis en liberté, les rapaces seront équipés d'un GPS.
"Cela permet de suivre leurs trajets, de documenter leur rythme de vie. Et de les secourir s'ils semblent en difficulté", précise Philippe Pilard, chargé de projet à la LPO.
L'ornithologue se souvient encore d'un aigle qui, réintroduit en Italie il y a quelques années, avait finalement choisi d'élire domicile en Corse.
- Fidélité -
Dès la pondaison, les soigneurs de l'élevage prélèvent les oeufs des volières pour permettre une seconde reproduction et les installent dans un incubateur chauffé à 37,2°C.
Ils nourrissent ensuite les poussins à la main en prenant soin de se cacher derrière un rideau, afin que les repas ne soient pas associés à un visage humain.
Si le programme de réintroduction a été un "franc succès", Christian Pacteau s'inquiète désormais de voir approcher "la fin de l'histoire".
Sur ses cinq couples d'aigles de 18 à 32 ans, trois ne sont déjà plus en âge de se reproduire et les deux autres sont à la limite.
"J'ai essayé de rapprocher le mâle et la femelle qui sont toujours en capacité mais ils ne veulent pas. Une fois appariés, ces oiseaux ne changent plus jamais de compagnon", soupire l'éleveur.
Ses partenaires espagnols pourraient lui envoyer un aigle mais rien ne garantit que la femelle l'acceptera. Quant à leur demander un couple déjà formé, "il ne faut pas rêver".
En attendant, les éleveurs suivront l'envol à distance. Les soigneurs espagnols n'oublient jamais de leur envoyer photos et bulletin de santé des "bébés".
A.Gmeiner--MP